Infanticides et « suppressions d’enfants » au XIXe siècle : les drames des grossesses subies

Alors qu’on parle d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution, il est utile de rappeler ces drames qui défrayaient régulièrement la chronique, notamment au XIXe siècle.

Quand il pose un plancher au château de Picomtal des Crottes (l’ancien nom de Crots), Joachim Martin écrit ses souvenirs au dos des lattes, au crayon de menuisier. Il est sans filtre. Il sait que si ses écrits sont lus, ce sera bien après sa mort. Ce qui a été le cas. Une des scènes dont il a été le témoin involontaire l’a traumatisé : « En 1868, je passais à minuit devant la porte d’une écurie. J’entendis des gémissements. C’était la concubine d’un de mes grands camarades [qui] accouchait ». Il s’agit d’un accouchement clandestin suivi d’un infanticide commis par le concubin. Ce n’est pas son premier crime, car précise-t-il, « quatre [enfants] sont enterrés au dit écurie ».

Château de Picomtal dessiné par Émile Guigues. Vers l’époque où le menuisier Joachim écrit sous le plancher qu’il pose, la scène d’infanticide à laquelle il a assisté involontairement.

Ces accouchements non désirés se font souvent dans la solitude, suite à une grossesse cachée.

Élisabeth Hermitte est une jeune domestique de 19 ans à Chorges. Elle avoue aux juges, en 1886, avoir eu des « relations intimes avec un jeune homme qui lui avait promis le mariage ». Elle accouche seule dans sa chambre chez ses maîtres et va « se mettre à table avec tous les membres de la famille ». 

Parfois, la mère ne survit pas au drame.

Ainsi, un accouchement clandestin avec infanticide se termine dans le sang, rue Palluel à Embrun en 1872. La jeune fille est retrouvée « poussant le dernier soupir dans les bras de son père ».  A-t-il fait pression sur sa fille ? A-t-il assisté sa fille ? Est-il l’auteur de l’infanticide ? La justice retient la complicité et le condamne à 10 ans de travaux forcés.

En campagne, on peut cacher sa grossesse sous des habits plutôt larges. Mais on est aussi surveillé. Ainsi, la fille G…  de Risoul a été accusée d’avoir en 1894 donné la vie à un enfant et de l’avoir supprimé. C’est la femme du mari fautif qui l’a dénoncée.

Certaines femmes ne supportent pas le déshonneur de passer en justice. En 1889, une veuve de 36 ans, du Petit-Puy, préfère se jeter dans la Durance. Elle laisse deux jeunes enfants.

Les infanticides ne sont pas exceptionnels, ils relèvent de la cour d’Assises. Quand l’enfant né viable est retrouvé mort, mais qu’on ne peut prouver que la mort a été donnée volontairement, on parle de suppression d’enfant. C’est le délit de cacher sa maternité qui relève du tribunal correctionnel.

Que ce soit devant une cour d’Assises pour « infanticide » ou un tribunal correctionnel pour « suppression d’enfant », l’accusée était jugée par des hommes. Dessin Bernard Brabant

De toute façon, les accusées ne sont jugées que par des hommes, puisque les femmes ne peuvent être ni magistrats ni jurées. Les prévenues peuvent être condamnées à plusieurs années de prison aux Assises, sauf circonstances atténuantes. Au tribunal d’instance, les peines vont du sursis à un an de prison. Quand l’homme est complice, il est moins condamné que la femme.

Élisabeth Hermitte, prévenue de suppression d’enfant, passe pourtant aux Assises. Son avocat plaide la non-déclaration de la naissance d’un enfant mort-né à l’état-civil. Le jury le suit. Élisabeth est libérée, après cinq mois de prison préventive.

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« Une salle bondée de monde, où le sexe féminin était largement représenté, a suivi avec intérêt les débats de cette audience. Aussi, des marques d’approbation ont-elles accueilli ce dénouement » note le journal.

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Mise à jour le 29/02/2024

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