Le marchand d’aiets, sa carriole et ses trois chiens.

Émile Guigues aimait dessiner le quotidien de la vie embrunaise. Il aimait aussi la raconter. Durant près de 20 ans, il a tenu occasionnellement une chronique dans l’hebdomadaire La Durance, sous le nom de Riouclar. Voici le portrait d’un marchand d’ail (aiet en patois) qui venait avec sa carriole tirée par trois chiens. Un texte qu’il a écrit en février 1891.

L’aiet!… l’aiet… qui n’en vounort? l’aiet l’aiet !.. L’avez-vous vu passer cette semaine le marchand d’ail de Gardanne, avec sa petite voiture attelée de trois chiens qui tirent fort sur les cordes et trottent ferme : mignon équipage auprès duquel, tout grand qu’il est, il paraît trois fois plus grand encore, le marchand d’aiet… d’aiet… d’aiet !…

Marché sous les remparts d’Embrun en 1889, qu’a sûrement connu le marchand d’aiets. Dessin d’Émile Guigues, qui a raconté l’histoire sous le nom de Riouclar

Il est immense, il est truculent, le marchand d’aiet. Il est taillé comme un hercule : petite tête, épaules colossales. Une petite tête toute embroussaillée, sous une casquette fourrée, sourcils touffus, barbe grise qui semble un buisson surpris par le givre : un point brillant sous les sourcils, un peu de chair couleur de cuir rougi au milieu de la broussaille, c’est la tête du marchand d’aiet… d’aiet !…

Dessin imaginé par l’Intelligence artificielle Designer

Son costume s’harmonise : pour veste, un sac vide de ses aiets, et en sautoir, comme un ordre étrange, des guirlandes d’aiets. Une ceinture de cuir fait bouffer ses pantalons de velours roux avec des reflets de vieil or, lesdits pantalons étranglés au pied, avec une ficelle… Les aiets, les aiets!… Et, il passe fier ; son torse puissant se balance sur ses hanches, et ses guirlandes d’aiets suivent le mouvement avec un petit bruit sec. Et comme il n’a plus de dents quand il crie : les aiets, les aiets ! et quand il mange, accoudé sur sa petite voiture, une tête de miche frottée d’aiet, il se fait dans toute sa broussaille argentée des creux désordonnés comme un buisson touffu où s’agiterait un animal effrayé, les aiets, les aiets!… On dirait un pastoureau ou un routier des grandes compagnies… (…)

Mais le brave homme que le marchand d’aiets !.. L’aiet fin, odorant, juteux… l’aiet aux tons nacrés, l’aiet à la forme si gracieuse avec son enveloppe d’un rose fin… l’aiet l’aiet !…

On dirait un pastoureau ou un routier des grandes compagnies… mais le brave homme que le marchand d’aiets !.. L’aiet fin, odorant, juteux… l’aiet aux tons nacrés, l’aiet à la forme si gracieuse avec son enveloppe d’un rose fin… l’aiet l’aiet !…

Charrette de marchand ambulant à Giens

L’aiet, l’aiet ! L’avez-vous vu passer le marchand d’aiet avec son petit attelage de chiens… ô les photographes et les croquignoleurs?

… sinon vous avez manqué un type qui va disparaître, car il est vieux — quoique toujours solide comme un chêne, le marchand d’aiet ; — et bientôt, on ne l’entendra plus crier dans les rues avec sa voix provençale : les aiets, les aietsqui n’en vouort d’aiet rougé !


Nous avons juste changé quelques ponctuations pour rendre le texte plus clair.

En savoir plus

Émile Guigues a entre autre dessiné la vie quotidienne de l’Embrunais à la fin du XIXe siècle. Peu de gens savent qu’il a aussi qu’il a écrit des chroniques dans l’hebdomadaire La Durance de novembre 1872 à mars 1892.

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